La révolution culturelle de Mao, une ambition personnelle de pouvoir
Il y a cinquante-deux ans en Chine, s’ouvrait une décennie meurtrière de grande révolution culturelle prolétarienne – 1966 – 1976 – qui allait grandement marquer l’histoire du pays et au-delà. Quelques années auparavant, Mao Zedong avait mené sa politique du Grand bond en avant. Entre 1958 et 1961, cette tentative de développement accéléré du pays entraîna une grande famine provoquant entre 15 et 30 millions de morts selon les estimations[1]. Devant ce désastre, Mao choisit de démissionner de son poste de Président de la République populaire de Chine mais resta à la tête du Parti Communiste Chinois, un poste qui primait à l’époque sur celui de chef d’État. La Révolution culturelle allait émerger de cette période noire.
Une révolution pour reprendre les rênes du pouvoir
C’est l’échec du Grand bond en avant qui conduit Mao à initier la Révolution culturelle à partir de 1966. Il s’agit pour le dirigeant de rétablir son pouvoir et d’éliminer une opposition grandissante notamment représentée par Deng Xiaoping et Liu Shaoqi. Le début de ce mouvement est communément daté du 1er juin 1966, lorsque Mao autorise la première affiche révolutionnaire et lorsque le Quotidien du Peuple publie un article intitulé « Balayons tous les génies malfaisants » en employant l’expression de « Révolution culturelle prolétarienne »[2].
Le 8 août 1966, le comité central du PCC émet un texte de loi en 16 points. Cet écrit est considéré comme la charte de la Révolution culturelle. Ce projet appelle à une purge parmi les fonctionnaires du parti et les intellectuels afin de « liquider l’idéologie bourgeoise »[3]. L’article 7 de ce texte exclut de cette purge les étudiants et élèves, ce qui permet au mouvement de s’appuyer sur la jeunesse et contourner ainsi l’appareil institutionnel[4]. De plus, les jeunes Gardes rouges sont sélectionnés selon leur appartenance sociale. Les « cinq espèces rouges » privilégiées sont les fils d’ouvriers, de paysans modestes, de cadres révolutionnaires, de soldats et de martyrs. Dès le 18 août 1966, environ un million de gardes rouges se rassemblent et acclament Mao à Pékin[5]. Un autre objectif de cette politique est de ne pas suivre la voie communiste soviétique mais de créer un modèle chinois propre.
Une révolution qui bascule dans la terreur
Ces jeunes révolutionnaires établissent progressivement un régime de terreur durant les trois années suivantes. À travers leur objectif de remise en cause des valeurs traditionnelles chinoises et des valeurs occidentales, les Gardes rouges obligent les personnes considérées comme contre-révolutionnaires à réaliser leur autocritique en public. De plus, ces autocritiques servent par la suite d’éléments à charge lors des procès. Exécutions publiques et déportation dans des camps de travail sont alors fréquentes durant cette période de purge. Le Petit livre rouge, qui contient des citations de Mao, devient un objet symbolique, un signe de reconnaissance entre révolutionnaires[6].
1968, fin des Gardes rouges
Mais autour de 1968, la Révolution culturelle connaît un tournant. Le pays commence à sombrer dans la guerre civile. Dès 1967, les exactions des gardes rouges divisent profondément les dirigeants et la population. À cela s’ajoutent les délations et les débordements de violence entre citoyens[7]. Le 28 janvier 1967, Mao Zedong décide de faire intervenir l’Armée populaire de libération pour rétablir l’ordre. Son but est d’aider les « véritables » révolutionnaires à prendre le dessus. En 1968, Mao récupère finalement le pouvoir à la tête de l’Etat et envoie de force des millions de jeunes Gardes rouges à la campagne[8]. Le 9e Congrès du PCC en 1969 réintroduit la pensée de Mao – supprimée en 1956 – comme fondement théorique du parti. Jusqu’à la mort de Mao en 1976, la propagande anti-traditionaliste continuera, notamment lors de campagnes contre la pensée confucéenne accusée de favoriser l’élitisme.
Quel sens réel pour cette Révolution culturelle ?
Sur un plan politique, la Révolution culturelle a donc été envisagée dans un but de reconquête du pouvoir par Mao Zedong. Face à sa mise à l’écart, en raison de l’échec de sa politique, le Grand Timonier a su contourner la lourde machine bureaucratique du PCC. Il a sollicité la jeunesse, enthousiaste. Il a su la galvaniser au nom de la supériorité et du droit souverain du peuple.
Toute source de contestation, notamment via l’intelligentsia chinoise ou certains fonctionnaires d’influence du parti, a été muselée. Mao a su associer ces personnalités à des valeurs bourgeoises, synonymes de rejet du peuple et de corruption. Dans un contexte difficile pour les classes sociales modestes suite à la famine des années précédentes, la stratégie de Mao fut, sans surprise, payante. Cette Révolution culturelle a contribué à restaurer son pouvoir individuel et à relancer le culte de sa personnalité. Elle a fait de lui l’incarnation du prolétariat et de la révolution. Aujourd’hui encore en Chine, Mao demeure une figure centrale et les conséquences humaines de cette période, pourtant terribles, restent minimisées
[1] Solange BRAND, « Retour sur la Chine de la Révolution culturelle », Le Monde diplomatique, octobre 2009.
[2] Focsaneanu LAZAR, Les textes fondamentaux de l’idéologie politique chinoise à l’époque de la révolution culturelle, Politique étrangère, n°2, pp. 191-236, 1969.
[3] K.S. KAROL, « La deuxième révolution chinoise », éditions Robert Laffont, 1973.
[4] Solange BRAND, op. cit.
[5] Brice PEDROLETTI, « Chine, août 1966, un premier été rouge sans », Le Monde, 25 juillet 1976.
[6] Focseanu LAZAR, op. cit.
[8] Alain ROUX, La Chine populaire (2) : Du chaos à la voie chinoise vers le socialisme (1966 – 1984), éditions sociales, 1984.